Aujourd'hui, je fais des photos comme d’autres font de la peinture.

Avec des outils, des gestes et le plaisir de la découverte... J’imagine d’autres images que le visible annoncé.
Je glisse, j’esquisse, je m’illusionne, je zoome, je tremble, je floute, je recommence, je répète, je m’amuse, je rejoue dix fois, cent fois le geste qui me prouvera ce que j’ai élaboré dans ma tête. Comme peindre cent fois la même montagne…
Mon imaginaire a toujours raison. Et si le résultat n’est pas très académique, tant pis. Ou tant mieux.

Régisseur de scène au théâtre, je photographiais les acteurs et les décors, de profil ou de dos sous des soleils et des constellations factices. Dans le noir du fond de scène, dans les dégagements, planqué derrière les contrejours et les latéraux. La lumière électrique et le noir. La nuit et la lumière d’abord, et la lune et les étoiles à venir. Le soleil ne se comprend que par l’ombre. J’aime le noir. L’autorité du noir. ( Donnez-moi l’ombre et je vous prouverai le soleil, la lune et les étoiles ). Et déjà ce que l’autre, le public, ne voit pas. Je suis de l’autre coté du trou de la serrure. Un œil suffit. Et l’index affirmatif pour acolyte.

Quand le voyageur serein regarde les maisons endormies sur la berge, je regarde leurs reflets dans les tourbillons nerveux des remous de l’hélice.
La nuit de villes continue de m'émerveiller. Je suis de ceux qui roulent leurs poings sur les yeux pour y allumer des étoiles.
Myope, je suis de ceux qui se déshabillent de leurs lunettes pour voir le monde autrement, dans l’extra-ordinaire, dans l’incroyable.

Je revendique ma propre réalité floue, élastique, jubilatoire. Je déclenche et tout doit être en place.
Ne rien retoucher. Viser. Toucher. C’est ce que j’ai vu, pressenti, architecturé.
En plein jour, c’est l’eau d’une rivière ou d’un fleuve qui m’offre, sur sa peau ouvragée et meurtrie, son illusion, sa fiction, fugace, vibrante. Les miroirs sont des menteurs, paraît-il ? Va savoir…

Et je ne suis que le voleur discret de ces instants magiques.